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Novembre funeste

Novembre funeste

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Novembre funeste

envie de partager ces mots de Thomas Jolly, en représentation au Théâtre de CAEN le 14 novembre, et déposés sur Facebook :

"Avant de démarrer Henry VI, hier, au Théâtre de Caen, il fallait des mots.
Ce sont ceux qui me sont venus.

Plusieurs spectateurs me les ont demandés par la suite. Je les pose ici.

Ce que je ne peux poser ici, c'est la force des minutes de silence à la fin de ce discours, quand sur scène et dans la salle 1000 personnes assemblées se dressent et se taisent.

Ce que je ne peux poser ici c'est que ces minutes de silence se sont conclues par un tonnerre d'applaudissements comme pour ranimer nos vies et les faire entendre au-delà même des murs.

Ce que je ne peux poser ici c'est combien Shakespeare était éloquent hier, apaisant ou sidérant. Brûlant. Et comme il nous a tous remis en vie !

Et on continue aujourd'hui !

"Mesdames, messieurs, en cette journée noire et avant de passer le week-end ensemble, nous, équipes du Théâtre de Caen et de La Piccola Familia, nous voulions vous adresser quelques mots - surement insuffisants face au drame que nous traversons mais dans lesquels peut-être nous trouverons un peu de consolation.

Cette nuit, un stade, une salle de spectacle, des terrasses et des rues - lieux emblématiques de « l’être ensemble » au coeur de la cité ont été attaqués, meurtris.

Nous pleurons nos semblables assemblés, fauchés au moment de leurs vies partagées.

Nous nous sommes couchés hagards et le sommeil, s’il est enfin venu, déjà troublé par le chagrin et la sidération de ces actes abominables, portait l’obscurcissement des temps à venir.
Au réveil, il fallait bien nous dire que ce cauchemar était advenu, que tous nous pleurions les mêmes larmes et que ces temps douloureux devaient être, encore une fois, et toujours plus que jamais, malgré tout, partagés ensemble et veillés par la flamme de l’intelligence, du discernement, et de notre foi en l’humanité, en nous, en l’autre. Sans confusion. Sans amalgames. Sans peur. Restons ensemble parce qu’on tient ensemble. Libres. Egaux. Fraternels.

Vous dire que nous sommes heureux d’être ici avec vous est mince : depuis cette nuit, nous avions besoin d’être avec vous.
De ce besoin inhérent à notre nature de se rassembler dans la liesse comme, aujourd’hui, dans l’effroi.

Voilà le bon endroit pour se rassembler - un théâtre.
Le théâtre est un art. Le théâtre est un lieu.
Le théâtre est ce lieu où les êtres humains oeuvrent depuis 2500 ans pour réfléchir et se réfléchir dans le monde, avec le monde et par le monde.
Le théâtre est cet art séculaire qui met en mouvement la pensée.
En cela il est un rempart, une arme précieuse car nous le savons, et nous le constatons, hélas, aujourd’hui encore : dès que la pensée est arrêtée, la violence survient.

Alors nous prenons nos armes.

La question n’était pas de savoir si nous jouerions aujourd’hui : notre volonté était de clamer que NOUS sommes tous vivants, au même endroit, en même temps… et depuis aujourd’hui vivant plus fort, riant plus fort, s’aimant plus fort.

Dans ces sombres temps, par l’éclat de nos présences et avec les mots de Shakespeare comme lanternes, nous voulions prouver que nous savons, nous voulons, et nous aimons vivre ensemble. Tous ensemble.

Clamons que nous sommes debout, pour celles et ceux qui ne le sont plus aujourd’hui. Pour eux, pour elles, levons-nous et écoutons leur silence.

Et prêtons l’oreille pour entendre, dans leur silence, les battements de nos vies partagées.

Thomas Jolly. Caen. 14.11.15"

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